Logo OSAM Formations

🇨🇭 +41 22 518 90 93

Picture of OSAM FORMATIONS

OSAM FORMATIONS

L’Art de convaincre : confidences d’un négociateur professionnel

Interview de Thomas Guedj

1. Quels sont les éléments clés d’une négociation réussie ?

Ils tiennent en 5 points. Ils correspondent aux cinq profils ou « modèles » du négociateur averti que je décris dans mon ouvrage « 50 clés pour bien négocier. La théorie du quadrant au service du négociateur « (Ellipses, 2017). Un bon négociateur est tout à la fois un stratège qui sait quand coopérer, un économiste qui sait comment créer de la valeur dans l’échange, un psychologue qui repère les angles morts dans une négociation, un diplomate qui gère le désaccord sans être désagréable et un performer sur scène qui brille par sa présence.

C’est un stratège car il doit opter pour une coopération plus ou moins grande, et donc plus ou moins risquée avec la partie adverse. Une forte coopération appelle une négociation gagnant/gagnant. Une faible coopération appelle une négociation gagnant/perdant. La négociation est un jeu subtil de coopétition, mix qui associe coopération et compétition dans un dosage qui n’est jamais le même.

C’est un économiste car il souhaite créer de la valeur dans l’échange. La négociation est comme un gâteau. Mieux vaut se partager un gros gâteau. Certains négociateurs créent davantage de valeur que d’autres. Mais attention car après la confection vient le découpage du gâteau. En négociation, il faut savoir coopérer pour créer un gros gâteau mais il faut aussi savoir être compétitif pour obtenir une belle part.

C’est un psychologue qui connait les « angles morts » de la négociation : il sait gérer les émotions, ménager les susceptibilités, comprendre la place et le rôle de l’égo, se protéger de la négociation avec soi-même et surmonter les biais cognitifs. Ces angles morts sont autant de chausse-trappes en négociation.

C’est un diplomate qui traite séparément la relation et le problème de fond, il est assertif dans la défense de ses intérêts et empathique dans sa relation avec les autres, il sait gérer le désaccord sans être désagréable, il crée un lien de confiance et communique sereinement avec son homologue en dépit des tensions. Il s’emploie à dés-escalader le conflit lorsqu’il survient et met de l’huile dans les rouages et non sur le feu, c’est un pompier, pas un pyromane.

C’est un performer qui livre un show on stage, une performance comme un comédien ou un sportif sur scène. Son public, c’est la partie adverse. Attentif et observateur, il touche et il émeut, il cherche à captiver et à surprendre, il tisse en peu de temps un lien interpersonnel de qualité grâce à sa fiabilité, sa sincérité et son enthousiasme. Sa présence compte autant que ses arguments. Une présence d‘esprit mais aussi une présence physique, une présence scénique où le temps et l’espace ne font plus qu’un, quand le négociateur se transforme en story teller. Sûr de lui, il est toujours prêt même quand il n’est pas préparé. Des techniques issues de l’improvisation théâtrales existent, accessibles à tous, pour élargir sa zone de confort, gagner en confiance et renforcer sa présence.

2. Comment préparez-vous une session de négociation ?

J’ai une check-list de questions simples, C’est une sorte de gymnastique mentale puis je la couche sur le papier, pour ne rien oublier et parce l’écrit permet de verbaliser les pensées et de clarifier les choses.

– La question des intérêts des parties, à commencer par les miens : qu’est-ce que je cherche à obtenir dans cette négociation et pourquoi ? Quels sont les enjeux, les besoins, les ressorts parfois cachés qui m’animent et me motivent ?

– Même question pour la ou les partie adverses : qu’est-ce qui les motive ? Quelles sont leurs contraintes ? Quels sont leur moteurs ? C’est un travail exploratoire, de curiosité. Il s’agit de lister et de hiérarchiser les intérêts.

– La questions des solutions possibles. Quelles sont les solutions susceptibles de satisfaire les intérêts des parties ? J’essaie d’en recenser le plus grand nombre, j’essaie d’élargir le champ des possibles. C’est un travail de créativité.

– La question de l’argumentation, des justifications des thèses défendues, des points de vus débattus, des solutions préconisées. Comment justifier mes propositions ? Quels sont les critères de légitimité qui fondent la solution que je préconise ? Parmi eux, quels sont les critères qui sont à la fois favorables pour moi et acceptables pour l’autre ? Quels sont les critères auxquels la partie adverse risque de faire appel ? Tous ces critères sont-ils objectifs, c-a-d non manipulables par la partie qui les invoque ? C’est un travail de légitimité.

– La question de mon pouvoir et accessoirement celle du pouvoir de la partie adverse. J’évalue en négociation mon pouvoir à l’aune de la qualité de mes solutions de rechange, et notamment de ma meilleure solution de rechange (en l’absence d’un accord négocié). Que ferais-je (pour satisfaire mes intérêts) si la négociation échoue ou n’a tout simplement pas lieu ? En d’autres termes, quel est mon plan B ? Une fois ce plan B identifié, il me faut l’évaluer, c’est-à-dire comparer ce plan B avec le résultat vraisemblable de ma négociation. La qualité de mon plan B me renseigne sur mon pouvoir. De la même façon, je tente ensuite d’identifier et d’évaluer le plan B adverse. Si je connais mon pouvoir et celui de la partie adverse, du même coup je connais le rapport de force entre les parties. Par ailleurs, ma connaissance affinée de mon plan B me permet de savoir jusqu’où négocier et si j’ai intérêt à accepter une offre. C’est un travail de lucidité et de comparabilité des solutions.

– La question du poids du futur. Est-ce que je serai amené à revoir la partie adverse après cette négociation ? Avec quelle vraisemblance ? Quelle fréquence ? Pendant quelle durée ? Quel impact a cette négociation sur la relation ? Quel impact a la relation sur cette négociation ? Quelle est l’importance de la relation par rapport aux enjeux de fond ? Comment améliorer la relation de travail sans faire des concessions sur le fond (le genre de concessions que je risque de regretter par la suite) ?

– La question de la définition des engagements de chaque partie aux termes de
l’accord négocié : qui fait quoi ? Quelle est l’étendue de mon mandat ? Etroit ou
large ? Flou ou précis ? Conditionnel ou ferme ? L’étendue de mes engagements dépend de l’étendue de mon mandat. Ai-je la possibilité de renégocier mon mandat ?

3. Quel est l’impact de la communication non verbale dans une négociation ?

Elle est importante. Encore faut-il savoir la décrypter chez la partie adverse et la maîtriser chez soi.

En négociation, il n’y a pas que les chiffres, les faits et les arguments logiques. Il y a aussi les expressions, les non-dits, les regards, les attitudes et les comportements qui envoient des signaux aussi sûrement que les mots envoient des messages. Lorsque ces signaux et les messages vont dans le même sens, on dit qu’il y a consonance cognitive, la communication est limpide, cohérente et efficace. Les choses se compliquent lorsque les signaux envoyés contredisent les messages. On parle alors de dissonance cognitive. C’est le cas lorsque des émotions ne sont pas en phase avec les mots. Dans ce cas, on agit avec la plus grande méfiance car on craint une manipulation.

En négociation il vaut donc mieux afficher des émotions cohérentes avec ses propos plutôt que de tenter de dissimuler ses émotions. Cela pose la question de la place des émotions en négociation. Beaucoup de gens ne savent que répondre, les émotions les embarrassent au point qu’ils aimeraient s’en
débarrasser. Soit elles nous submergent soit on les met sous le tapis. En fait, il faut reconnaitre que les émotions ont droit de cité dans la négociation. Et il est vain de prétendre les évacuer du débat. La réalité, c’est que les émotions fortes hantent les protagonistes et polluent leurs interactions.

Que faire alors ? La seule vraie question qui se pose n’est pas « faut-il les exprimer » mais bien comment doit-on les exprimer ? Il s’agit de les exprimer d’une façon qui soit audible, acceptable pour la partie adverse. Le message « je » qui consiste à centrer l’expression de ses émotions sur sa propre personne, « il me semble que », « j’ai le sentiment que »,voilà ce que je ressens … » est de ce point de vue préférable au message accusatoire qui vise l’interlocuteur, en général en lui prêtant de mauvaises intentions à travers des attaques comme « tu l’as fait exprès » ou « tu as cherché à me nuire » qui sont rarement efficaces et qui provoquent une spirale défensive d’attaques et de contre-attaques.

4. Pouvez-vous partager une stratégie de négociation à succès facilement applicable ?

Un conseil : négociez avec la partie adverse, ne négociez pas avec vous-même.

Dans la négociation avec la partie adverse, soyez ambitieux, visez haut, faites jouer le principe de réciprocité et ne faites pas de concessions sans en obtenir en retour. Soyez ferme sur vos objectifs mais flexible sur les moyens pour y parvenir.

Quel est votre pouvoir dans telle négociation ? Votre pouvoir dépend étroitement de la qualité de votre solution de rechange en l’absence d’un accord négocié (la fameuse BATNA de Fisher et Ury : Best Alternative To a Negotiated Agreement). Si cette solution de rechange, ou plan B, est attrayante vous avez du pouvoir. Si elle est médiocre, votre pouvoir est faible. Si elle est affreuse, vous n’avez pas de pouvoir. Autant le savoir et négocier en conséquence. Un accord n’est ni bon ni mauvais dans l’absolu. Un accord est acceptable si votre solution de rechange est mauvaise. Par contre l’accord peut être rejeté si votre solution de rechange est bonne.

5. Comment gérez-vous les situations où les parties semblent arriver à une impasse ?

Il faut éviter de rompre la négociation mais une interruption ou suspension de la négociation peut être salutaire pour deux raisons. Elle permet de réviser l’étendue à la fois de son mandat et de ses ressources propres. Elle force aussi la partie adverse à s’interroger sur sa responsabilité dans l’échec de la négociation, ce qui peut la pousser à faire une nouvelle concession qu’elle n’était jusque là pas prête à faire.

L’interruption peut inciter la partie adverse à négocier avec elle-même et donc à formuler de nouvelles concessions de retour à la table de négociation.
Evitez les formules bravaches et vaguement menaçantes comme « c’est mon dernier prix » ou « cette offre est à prendre ou à laisser ». Cela a rarement l’effet attendu. Normal puisque c’est le plus souvent du bluff. Et quand on bluffe, soit la partie adverse nous croit et elle se retire du jeu soit elle ne nous croit pas et les comportements se crispent, les parties campant sur leurs positions.

Un ultimatum doit être manié avec précaution car s’il n’est pas suivi d’exécution, il se retourne contre celui qui l’a lancé en entachant sérieusement sa crédibilité.

6. Quel est le rôle de l’empathie dans une négociation ?

Il est énorme. L’empathie est un formidable accélérateur de transaction car elle rapproche les parties, augmente l’écoute adverse et favorise l’émergence d’une coopération entre les parties. Elle crée un cercle vertueux : l’empathie de l’un entraine de l’empathie chez l’autre en retour, ce qui assoie un climat de confiance propice aux échanges.

Peut-on faire preuve de trop d’empathie ? La réponse est non. L’empathie doit être distinguée de la sympathie. L’empathie consiste à se mettre à la place de l’autre pour voir et ressentir les choses telles qu’il les voit ou les ressent puis à revenir à sa place. La sympathie consiste à prendre fait et cause pour la partie adverse. L’empathie vise à comprendre l’autre, pas à l’approuver. La différence est de taille. Comprendre n’est pas approuver. Attention : l’empathie est un billet aller-retour.

N’oubliez pas de composter le billet retour et de revenir à votre place.

7. Comment maintenez-vous un équilibre entre être ferme et faire preuve de flexibilité ?

Il n’y a pas de contradiction entre fermeté et flexibilité, entre intransigeance et
accommodement, entre affirmation de soi et empathie. Un négociateur expérimenté concilie les deux. Il est à la fois ferme dans la défense de ses intérêts et empathique dans sa gestion de la relation. Il ne mélange pas l’objet de la négociation et la personne de son interlocuteur.

Il sait gérer le désaccord sans être désagréable avec la partie adverse. En ce sens, il faut être en négociation à la fois ferme et flexible. Ferme sur ses intérêts et sur ses objectifs, flexible sur les moyens pour y parvenir.

8. Avez-vous un conseil pour les négociateurs novices ?

Voici 3 conseils qui n’en font qu’un : pratiquez, lisez et formez-vous, et observez !

Pratiquez car la négociation est avant tout une expérience pratique. Il convient de s’entrainer le plus souvent possible, notamment en testant des approches inhabituelles ou des tactiques nouvelles en situations à faible enjeu. Plus on pratique, plus on est à l’aise. Progressivement, la négociation va devenir un jeu source de plaisir et non un affrontement source de souffrance. Si la négociation est un jeu, apprenez à l’aimer. Pour cela, il faut en connaitre les règles. Si vous ne les connaissez pas encore, apprenez-les, à travers des ouvrages et des formations.

Lisez et formez-vous. Des formations existent, notamment à OSAM qui permettent d’apprendre plus vite et plus durablement que par la simple pratique. Ces formations et les ouvrages qui les accompagnent apprennent à préparer et à conduire une négociation mais surtout l’apprentissage en formation apporte un outil incomparable : c’est la phase de débriefing avec un feedback individuel et collectif qui permet de revisiter la simulation et comparant les résultats obtenus avec tous les résultats possibles. Cet outil n’existe tout simplement pas dans la vie réelle où on a souvent du mal à tirer des enseignements de nos négociations passées.

Observez, prenez l’habitude de vous regarder faire lorsque vous êtes en négociation. Dédoublez-vous, devenez votre propre coach qui commente, analyse et évalue votre comportement lorsque vous négociez. Que recherchez-vous dans telle négociation ? Comment est-ce que vous vous y prenez ? Avec quelle méthode, quels outils ? Avec quels résultats ? Quelle efficacité ? Quels comportements alternatifs pourriez-vous adopter ?
Quelles sont vos intuitions de comportement en négociation ? Lesquelles de ces intuitions avez-vous envie de challenger ? Pourquoi ? Comment ? Prenez de la hauteur, de la distance. Soyez comme le médiateur de vos propres négociations. Que dirait ce tiers de votre manière de négocier ?

9. Comment savoir quand il est temps de se retirer d’une négociation ?

Lorsque les positions des uns et des autres paraissent trop éloignées et que la négociation n’a pas permis un rapprochement significatif.

De deux choses l’une. Soit une des parties (voire les deux) est prisonnière d’un mandat trop étroit et il faut suspendre la négociation pour lui permettre de renégocier un mandat en interne qui soit élargi. L’élargissement de son mandat ne se fera pas avec la partie adverse mais bien avec son mandant. Soit une des parties est sujette à des attentes irréalistes ou piégée par son propre bluff et elle ne peut plus faire machine arrière sans perdre la face. Si elle bluffe, en général elle le sait mais son amour propre lui interdit de le reconnaitre publiquement.

Aidez-la à sauver la face ! L’interruption de la négociation (sans la rompre définitivement) la pousse à négocier avec elle-même. Elle pourra revenir en négociation en formulant une nouvelle offre qui est le fruit d’une réflexion en interne : elle n’a pas cédé à vos exigences, elle a fait le point avec son responsable.
L’honneur est sauf et l’accord peut être signé.

Partager

OSAM

Contactez-Nous !

© OSAM Formations